L’automne arrive, apportant enfin un peu de pluie et de douceur aux paysages. Les rythmes commencent à ralentir, et la fraicheur s’installe, s’accompagnant d’une envie de savourer des plats réconfortants, bien chauds au sortir du four. De mon côté, c’est l’époque où mes cueillettes s’orientent vers les petits fruits et graines sauvages. Dans cet article, je vous partage mon amour pour un arbre si commun et pourtant peu apprécié à sa juste valeur : le chêne !
Je suis certaine que vous connaissez tous.tes cet arbre qui représente 41 % de la surface forestière en France. Il est apprécié pour les qualités de son bois, mais vous ne le considérez probablement pas comme une ressource alimentaire - et pourtant ! C’est ce que nous allons découvrir ensemble :)
Mais d'abord, un peu de botanique.
LES DIFFERENTS TYPES DE CHÊNES QUE L'ON RENCONTRE EN FRANCE
En France, on trouve 8 espèces de chênes spontanées :
2 au feuillage caduque et présentes sur tout le territoire - le chêne pédonculé (Quercus robur) et le chêne sessile (Q. petraea)
1 au feuillage caduque et présente sur tout le territoire à l’exception du nord de la France : le chêne pubescent (Q. lanuginosa)
2 au feuillage caduque et présententes respectivement sur la frange sud du littoral atlantique et au sud-est des Alpes Maritimes et de Haute-Provence : le chêne tauzin (Q. toza) et le chêne chevelu (Q. cerris)
3 au feuillage persistant, et inféodées au pourtour de la côte méditerranéenne - le chêne-liège (Q. suber), kermès (Q. coccifera) et vert (Q. ilex).
Les autres espèces que l’on trouve sur notre territoire ont été introduites, comme par exemple le chêne rouge, Q. rubra. Ailleurs dans le monde, il existe plus de 250 espèces de chênes, la plupart poussant dans des régions tempérées.
Dans cet article, on va s’intéresser principalement au chêne pédonculé, sessile et pubescent, car ce sont les essences les plus répondues dans nos forêts. On parlera également du chêne vert, pour les avantages de ses glands.
Chêne pédonculé, sessile et pubescent sont peu aisés à distinguer les uns des autres de prime abord. Pour le.la cueilleur.se, ce n’est pas bien grave, car les glands de toutes ces espèces ont le même intérêt. Voici néanmoins quelques clés pour les identifier correctement :
le chêne pédonculé (Quercus robur) est un arbre de 25 à 30 m de hauteur, très héliophile, aimant les sols fertiles, argileux, tolérant les sols gorgés d’eau et compacts mais supportant mal la sécheresse. Son feuillage apparaît tardivement au printemps et ses feuilles sont regroupées en bouquet aux extrémités des rameaux. Le limbe de la feuille est au plus large au ⅓ de sa longueur et se termine à sa partie inférieure par deux oreillettes encadrant un pétiole très court. Ses glands sont isolés ou groupés par 2 ou 3 à l’extrémité d’un pédoncule de 2 à 9 cm de long.
Le chêne sessile (Q. petraea), haut comme son compère le pédonculé, de 25 à 30 m, souffre quant à lui moins de la sécheresse, est moins exigeant en lumière et tolère les sols pauvres, très drainés et/ou acides. Ses feuilles sont espacées le long des rameaux puis serrées en bouquet au sommet. Le limbe de ses feuilles se termine en coin au niveau d’un long pétiole. Ses glands sont directement fixés sur le rameau ou à l’extrémité d’un pédoncule très court. La plus grande largeur du limbe est au milieu.
En résumé donc, pour une identification rapide : le chêne pédonculé a un pétiole court et un pédoncule long alors que c’est l’inverse pour le chêne sessile ! Attention cependant, il n’est pas rare de croiser en forêt des arbres aux caractères morphologiques intermédiaires entre ces deux espèces.
Le chêne pubescent (Q. lanuginosa), lui, grimpe jusqu’à 15 à 25 mètres de haut et tolère tous types de sols. Le pétiole de ses feuilles est long, mais ses glands sont sessiles, sans pédoncule. On le reconnaît à ses poils courts et mous sur la face inférieure des feuilles et des jeunes rameaux (d’où son nom !).
Enfin, le chêne vert (Q. ilex) est un plus plus petit que ses compères, atteignant 20 m de haut. C’est un arbre des garrigues méditerranéennes, poussant sous forme de boisement clair. Ses feuilles, au contraire des autres chênes, sont persistantes. Elles sont d’un vert foncé et luisantes sur le dessus, blanchâtres et pubescentes sur le dessous. Elles sont coriaces et, bien que de forme très variable, ressemblent à celles du houx. Leur pétiole est court.
LE CHÊNE, UNE VERITABLE ARBRE FRUITIER
Les glands sont les fruits du chêne. En botanique, on les nomme des akènes, c’est-à-dire un fruit sec, indéhiscent (qui ne s’ouvre pas tout seul à maturité), dont les parois enferment une unique graine. Sur le dessus du gland, une cupule le rattache au pédoncule, ou au rameau lorsque le gland est sessile. Le chêne fait partie de la famille botanique des fagacées, dans laquelle on trouve également le hêtre et le châtaignier. Les fruits de ces deux essences sont également des akènes : 3 akènes par bogue pour le châtaigner, 2 à 4 akènes par cupule pour le hêtre.
Les glands sont une ressource alimentaire précieuse, que l’on a malheureusement perdu l’habitude de consommer. En effet, ils sont riches en glucides (50%) mais avec un index glycémique bas, en lipides (30%) et en protéines (7%). Cela en fait un aliment calorique (309kcal/100g), donc précieux en cueillette sauvage dans une logique de subsistance. Par ailleurs, les glands contiennent du calcium, du potassium, du phosphore, du magnésium, ainsi que des vitamines du groupe B.
De plus, contrairement à d’autres arbres aux fruits également riches en glucides ou en lipides - châtaignes, noisetier, hêtre notamment - le chêne a l’immense avantage d’être présent sur tout le territoire et de produire en grande abondance. Ainsi, un chêne peut produire plusieurs dizaines de kilos de glands chaque année. La productivité est variable selon l’espèce, le contexte local et les conditions climatiques de l’année en cours. Il existe ainsi une forte variabilité selon les années dans la quantité de production de glands. Certaines années, à l’échelle d’une région ou d’un massif forestier, les chênes fructifient énormément et de façon étonnement synchrone. D’autres années, pour une même région, c’est disette à l’échelle de cette même population de chênes. Ce phénomène reste mal expliqué, mais pourrait résulter d’une stratégie de reproduction des arbres pour contrôler les effectifs de consommateurs de glands (rongeurs, sangliers, oiseaux, insectes).
Alors pourquoi ne mange-t-on pas de glands ? Ou plutôt devrions-nous dire plus, car les glands ont été largement consommés dans l’histoire humaine. Ainsi, pour de nombreuses cultures - gauloise, amérindienne, asiatique - les glands constituaient une base alimentaire importante. On les consommait crus, cuits, grillés, bouillis, sous forme de pain, d’huile, soupe, café… Puis, avec la généralisation de la culture des céréales, la consommation de glands s’est étiolée. Des phénomènes sociaux et culturels ont également largement joué dans la diminution de la consommation de glands : petit-à-petit, puisque la récolte de glands nécessite peu d’efforts, à l’inverse du travail nécessaire pour produire des céréales, leur consommation a été perçue comme signe de paresse, de non travail, de peuplades se contentant de vivre chichement et en fournissant peu d’efforts. D’où d’ailleurs l’expression de “glandeur”, qui à l’origine désignait la personne menant les cochons aux glands - tâche facile et nécessitant peu d’efforts. La consommation de glands, en Europe Occidentale, a ainsi petit-à-petit reléguée à des périodes de disettes, puis oubliée.
Néanmoins, il existe encore des régions où les glands restent consommés. C’est par exemple le cas en Corée, où l’on prépare avec l’amidon contenu dans les glands le dotorimuk, une gelée coupée en carrés, assaisonnée avec de la sauce soja pimentée, et consommée à côté de nombreux plats. On vous en donne la recette à la fin de l’article !
Idem, au Portugal, la culture des glands reste encore présente, notamment parce que les chênes verts y poussant produisent des glands peu tanniques, et donc plus faciles à transformer. C’est par exemple le cas de la ferme “Freixo do Meio”, qui produit des glands près de Lisbonne, au sein d’une forêt de chênes datant de l’époque médiévale et entretenue selon le modèle agroforestier, avec des animaux - chevaux, ânes, cochons, etc. - paissant sous les arbres.
COMMENT ON CUEILLE ? ET SURTOUT COMMENT CA S'MANGE ?
J’espère avoir maintenant éveillé votre curiosité à propos des glands. Passons donc à table !
Les glands se récoltent à l’automne, à partir d’Octobre pour le chêne pédonculé, sessile et pubescent, plus tardivement, à partir de mi-Novembre pour le chêne vert. Comme pour les châtaignes, les glands mûrs tombent au sol, il suffit donc de les ramasser au sol, en évitant de mettre dans son panier ceux ayant un petit trou, signe que les vers y ont déjà fait bombance !
Une fois la récolte effectuée, il n’est cependant pas possible de consommer les glands tels quels. En effet, ils sont extrêmement astringents car ils contiennent des tanins. Ceux-ci protègent les glands des prédateurs avant leur germination. Ils ont des propriétés anti-nutritionnelles et irritantes pour les parois intestinales et les vaisseaux sanguins. Il est donc important de se débarrasser des tanins contenus dans les glands. Toutes les espèces de chênes ne contiennent pas autant de tanins les unes que les autres. Ainsi les glands du chêne vert et du chêne liège sont dits “doux”, c’est-à-dire qu’ils contiennent peu de tanins et peuvent être consommés tels quels.
Pour les glands taniques, plusieurs options s’offrent à vous pour lessiver les tanins, qui sont hydrosolubles :
Un lessivage à l’eau chaude. Il faut alors commencer par décortiquer les glands puis les faire bouillir à plusieurs eaux successivement, jusqu’à ce que celle-ci devienne claire. Attention, ici, au moment de changer l’eau, il faut impérativement remplacer l’eau précédente par une eau déjà chaude, au risque sinon de bloquer les tanins dans les glands.
Un lessivage à l’eau froide. Celui-ci imite le passage d’un hiver et de ses pluies fraîches. Il est plus long mais ne nécessite pas d’énergie. Il suffit de laisser les glands dans le cours d’une rivière, d’une gouttière, ou même d’une chasse d’eau pendant plusieurs jours.
Une torréfaction. Ici, il vous faudra passer les glands au four, à 200°C pendant plusieurs heures.
La fermentation. En conservant les glands plusieurs mois dans de l’eau, un processus de lactofermentation s’entame et permet de réduire - mais pas d’éliminer entièrement - la teneur en tanins des glands.
Et, comme pour les châtaignes, si vous souhaitez conserver les glands non séchés pendant plusieurs mois, il faudra les stocker dans du sable humide.
LES RECETTES !
Maintenant que vous avez avec vous des glands sans tanins, passons aux choses sérieuses, la cuisine ! Les glands ont un délicieux goût riche et sucré, qui n’est pas sans rappeler celui de la châtaigne, avec des notes de cannelle et de chocolat lorsqu’ils ont étés torréfiés.
On peut consommer les glands de différentes manières :
cuits et intégrés, à la façon des châtaignes, par exemple dans des poêlées automnales ou plats mijotés avec de la viande ;
cuits puis mixés pour réaliser des terrines forestières, en association avec des champignons, des oignons, du fromage, de l’ortie… la palette des associations est vaste !
réduits en farine. Les glands ne contiennent pas de gluten et ne seront donc pas panifiables si utilisés seuls. Cependant, la farine de glands peut s’associer à d’autres farines pour entrer dans la composition de pains, gâteaux, crackers, etc. Les œufs peuvent aussi servir de liant si la farine de gland est utilisée seule.
Torréfiés et concassés à la manière des racines de chicorée ou de pissenlit, pour en faire un substitut de café ;
Ici, je vous partage deux recettes à partir de farine de glands.
Crackers de glands à la benoîte urbaine
Ingrédients :
50 g de farine de blé
80 g de farine de glands
60 g d’ huile de d’olive
1 cac de levure chimique ou un peu de levain
1 pincée de sel
10 cl d’eau environ
5 cas de racines de benoîte lavées
Préparation :
Préchauffer le four à 180°C ;
Laver les racines de benoîte et les ciseler finement ;
Faire chauffer l’eau dans une casserole les racines de benoîte et laisser bouillir tout doucement 10 minutes en remuant de temps en temps ;
Couper le feu et laisser infuser 10 minutes puis filtrer la préparation en pressant bien ;
Laisser refroidir. En parallèle, mélanger délicatement tous les autres ingrédients
dans un saladier ;
Ajouter l’eau petit à petit, jusqu’à obtenir une pâte homogène légèrement collante mais pas liquide ni trop sèche ;
Etaler la pâte sur du papier cuisson et prédécouper les crackers ;
Enfourner pour 15 à 20 minutes.
Dotorimuk
Ingrédients :
60 g de farine de gland
300 g d’eau
une pincée de sel
Préparation :
Mettre la farine de gland dans un bol et y ajouter l’eau froide.
Bien remuer puis ajouter le sel et remuer encore.
Transvaser le mélange dans une casserole et faire chauffer à feu tiède.
Pendant les 4 premières minutes de cuisson, mélanger occasionnellement la préparation. Doucement, de petits blocs épais vont apparaître dans le liquide.
Au bout de la 4ème minute de cuisson, mélanger en continu pendant 5 minutes : le mélange va alors s’épaissir et gonfler, à la manière de la maïzena.
Couper le feu et verser la préparation dans un moule type moule à cake.
Laisser reposer 5 heures à température ambiante : la préparation va alors figer et se durcir.
A tester également avec un assaisonnement aux plantes sauvages, par exemple avec de l’égopode finement ciselé ! Et à déguster en accompagnement d’un plat de légumes sautés et de riz - par exemple !
On espère que cet article vous a donné envie de regarder autrement les glands, cette ressource alimentaire si riche et abondante, qui aurait tout le potentiel pour devenir l’une des bases alimentaires et caloriques de nos sociétés, à l’image du pain. Alors, pourquoi n’est-ce pas le cas ? Parce que nos sociétés, centrées autour de la culture des céréales, n’ont pas développé de machines, d’outils, de méthodes et d’itinéraires techniques pour facilement cultiver et transformer les glands : les écorcer, enlever les tanins, les cuisiner de façon savoureuse, etc.. De plus, les chênes n’ont jamais été sélectionnés pour la taille de leurs fruits, l’abondance de leurs récoltes ou leur teneur en tanins, au contraire d’autres espèces végétales que nous avons domestiquées… Mais il n’est pas trop tard, et cela ouvre de belles perspectives !
Sources :
Keller, R. “Différentes variétés de chênes et leur répartition dans le monde”, Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts, 1987
Venner, S. “Comprendre les fortes variations des glandées et leurs effets sur la biodiversité associée”, conférence de l’ONF, 2018
Coquillat, M., “Les glands du chêne dans l’alimentation des hommes préhistoriques”, Publications de la Société Linnéenne de Lyon, 1959
https://freixodomeio.pt : ferme portugaise produisant différents produits transformés à partir de glands doux de chênes verts
Texte : Emmanuelle Emmel
Photos : Emmanuelle Emmel et Amandine Lebert
Emma est cueilleuse en Haute-Savoie. Elle cueille des plantes fraîches pour les restaurants et propose des sorties et ateliers sur les sauvageonnes comestibles dans le Massif des Bauges et du côté du Lac Léman.
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